Diversifier les lieux d’enseignement : des pistes pour réinventer l’éducation en temps de Covid-19 et au-delà

Yasmeen Moreau
4 min readApr 21, 2021

Alors que le troisième confinement d’avril 2021 marque le retour de l’école à la maison, les réflexions sur les stratégies éducatives à mettre en place pour assurer une continuité pédagogique tout en permettant une flexibilité et une adaptabilité à l’évolution des contraintes sanitaires sont plus que jamais d’actualité. Un an après le début de la pandémie de Covid-19, l’évolution de la situation reste largement incertaine face au développement et à la propagation des variants. Par ailleurs, le réchauffement climatique favorisera l’apparition de nouveaux virus qui risquent de banaliser les circonstances exceptionnelles que nous vivons actuellement. Il est essentiel que les politiques éducatives s’adaptent en intégrant cette dimension dans leur organisation.

Les élèves de l’école de Bosnières faisant cours au Musée des Beaux-Arts de Caen, mai 2020. Source: Ouest France

La fermeture des écoles répond à un constat simple, celui de l’impossibilité d’assurer l’accueil en établissement de tous les élèves tout en assurant une distanciation sociale. Face à cette situation, le passage à l’enseignement à distance a permis, grâce aux outils numériques, de maintenir une certaine continuité pédagogique. Celui-ci pose néanmoins un certain nombre de défis : 1) difficultés d’ordre technique liées à la capacité de l’ensemble de la chaîne numérique à monter en charge pour assurer une qualité de service lors de pics de trafic ; 2) creusement des inégalités entre les élèves dû à des accès inégaux à Internet et aux outils numériques ou encore des circonstances familiales et sociales différenciées pouvant affecter l’apprentissage à distance…

Si un premier impératif concerne le développement et le déploiement d’outils numériques solides pour tous, la réflexion ne doit pas s’arrêter là.

Ces défis interrogent notre capacité, collectivement, à réfléchir au-delà de la logique binaire école versus maison pour mettre en place des solutions créatives pour assurer un enseignement de qualité dans les contraintes d’aujourd’hui et de demain.

Nous avons vu suite au premier confinement des initiatives intéressantes se mettre en place au niveau local, reposant par exemple sur l’organisation de cours dans des tiers-lieux. A Caen, en mai 2020, alors que les écoles avaient le droit de rouvrir mais faisaient face à des difficultés pour garantir la distanciation sociale, le musée des Beaux-Arts, encore fermé au public, a ouvert ses portes pour accueillir des groupes d’élèves afin de ne pas surcharger les écoles. Résultat ? Des conditions d’accueil bien plus sûres dans les salles de classe, et, pour les élèves, une expérience d’apprentissage inédite dont ils se souviendront toute leur vie.

D’autres initiatives à l’étranger offrent des exemples, à petite échelle, de l’étendue des possibilités pour investir des tiers-lieux pour l’enseignement. Ainsi, à New Orleans, le Louisiana Children’s Museum a été réaménagé en salle de classe pour les élèves d’une des écoles ‘charter’ de la ville. Le Centre des Congrès de Hesston, dans le Kansas, a été ouvert ses portes à une partie des élèves de la ville, libérant ainsi de l’espace nécessaire dans les écoles pour assurer la distanciation sociale. A New-York, c’est l’enseignement en plein air qui s’est développé : quelques 1,100 écoles ont obtenu l’autorisation d’assurer certains de leurs cours dans des parcs ou des rues fermées.

La rapidité avec laquelle les gouvernements ont déployé des stratégies pour faire face à une situation inédite sur les plans sanitaire, social, économique et scolaire montre que l’on dispose de marges de manœuvre réelles pour répondre aux défis actuels et ouvre le champ des possibles. Réduire la densité dans les écoles est une chose. Mais cela ne doit pas forcément signifier renvoyer tous les élèves à la maison. Il existe de nombreux lieux, actuellement inutilisés en raison de la situation sanitaire, qui pourraient accueillir des élèves. A l’image des stades reconvertis en « vaccinodromes », ne pourrions-nous pas envisager de reconvertir des musées, des salles de spectacle, des cinémas, des terrasses de café, en lieux d’enseignement ?

La diversification des lieux d’enseignement offre des perspectives intéressantes pour répondre aux contraintes posées par la crise sanitaire et réinventer nos modèles éducatifs. Tirer profit de ces opportunités suppose d’engager une réflexion collective et de long-terme sur les modalités de mise en œuvre de ces solutions. En d’autres termes, comment construire un modèle d’école décentralisé et égalitaire qui permette d’accueillir les élèves dans le respect des conditions sanitaires tout en réinventant les expériences d’apprentissage ?

Cette réflexion pose de nombreuses questions, en termes de gouvernance, d’organisation, ou encore de modèle économique :

  • Comment organiser une gouvernance autour d’un projet territorial où l’enseignement est distribué dans des lieux diversifiés ?
  • Quelles implications en termes de pédagogie ? Comment tirer parti des ressources disponibles dans ces tiers lieux pour enrichir les apprentissages des programmes scolaires ?
  • Quelle organisation mettre en place pour assurer une lisibilité d’ensemble sans créer des contraintes supplémentaires pour les familles (mobilité vers les tiers lieux, horaires adaptés, etc.) ?
  • Comment assurer une équité pour les élèves alors que les opportunités sont inégalement réparties sur l’ensemble du territoire ?
  • Quels dispositifs d’évaluation mettre en place pour permettre une évaluation en continu et la réactivité nécessaire à ce type de démarche ?
  • En temps de confinement, le modèle économique est simple puisque la fermeture de ces lieux est dans tous les cas financée, notamment à travers le versement du chômage partiel à leurs employés. La question est alors : comment le pérenniser lorsque les tiers-lieux rouvriront au public ?

L’enseignement hybride n’en est qu’à ses débuts. Beaucoup de choses sont à inventer, et le contexte actuel offre des opportunités réelles pour penser et expérimenter des solutions en dehors des chemins battus. S’il est certain que cela doit se faire sur la base du volontariat, notamment des enseignants, il est nécessaire de mettre en place au niveau politique un cadre qui favorise ce type d’initiatives. La création d’une plateforme pour permettre à l’offre et la demande de se rencontrer et valoriser les bonnes pratiques et initiatives locales pourrait être une première piste dans ce sens.

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Yasmeen Moreau

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